Intervention en cours d’expertise judiciaire : attention aux dangers procéduraux

Expertise immobilière
Par Christophe Dielis, Avocat au Barreau de Bruxelles au sein du cabinet CONSILITS

Intervention en cours d’expertise judiciaire : attention aux dangers procéduraux

Les origines du débat : le respect du droit de la défense

Les parties présentes dans la cadre d’une mission d’expertise judiciaire se limitent rarement au maître de l’ouvrage et à l’entrepreneur.

La multiplication des acteurs (promoteur, architecte, ingénieur en stabilité et tant d’autres) a pour effet de voir certaines parties intervenir en cours d’expertise.

On le sait, c’est l’article 812 du Code Judiciaire qui régit cette question. Cet article stipule que : « L’intervention peut avoir lieu devant toutes les juridictions, quelle que soit la forme de la procédure, sans néanmoins que des actes d’instruction déjà ordonnés puissent nuire aux droits de la défense. »

En d’autres termes, toute acte d’instruction posé par l’expert avant la mise en cause de la partie et qui pourrait causer à cette dernière lui sera inopposable eu égard au respect des droits de la défense. Un acte inopposable qui mène à une action en intervention irrecevable.

Des arrêts de la Cour de Cassation du 4 janvier 1984 et du 17 janvier 2013 (Cass., 4 janvier 1984, Pas., 1984, I, p.473 ; Cass., 17 janvier 2013, J.T., 2013, p.668) ont précisé que les tribunaux saisis devront examiner au cas par cas si les droits de la défense sont respectés.

Lors de la réforme de l’expertise, l’article 981 du Code Judiciaire a clairement stipulé dorénavant que : « l’expertise est inopposable à la partie appelée en intervention forcée après l’envoi de l’avis provisoire de l’expert, sauf si cette partie renonce au moyen de l’inopposabilité ».

L’article 981 du Code Judiciaire : fin du débat ?

Pour beaucoup, la question est donc close…

Mais attention, l’article 981 du Code Judiciaire doit être combiné avec l’article 812 du Code Judiciaire précité. Il n’est pas impossible que différentes mesures d’instruction aient d’ores et déjà lésé les droits de la défense quant bien même l’avis provisoire n’a pas encore été rendu.

Deux décisions intéressantes en ce domaine ont été rendues par la Cour d’Appel de Liège le 5 mars 2021 et le Tribunal de Première Instance de Bruxelles du 3 mai 2022.

Intervention en degré d’appel : c’est non…

Dans le premier cas, les maîtres d’ouvrage se plaignaient de malfaçons affectant les travaux de toiture réalisés par l’entrepreneur lors de la construction d’un immeuble à appartements.

Un expert est désigné par le Tribunal de Première Instance de Neufchâteau qui dépose un rapport écrit. Le juge saisi ordonne une réouverture des débats sur un point précis. Pour une raison inconnue, les demandeurs ne concluent pas et le Juge déboute les demandeurs.

Ceux-ci décident d’interjeter appel. Le Juge d’appel décide d’ordonner une mesure d’expertise complète et les maîtres d’ouvrage souhaitent appeler à la cause l’architecte.

L’arrêt de la Cour d’Appel est empreint de clarté : « L’expertise est inopposable à la partie appelée en intervention forcée après envoi de l’avis provisoire de l’expert, sauf si cette partie renonce au moyen de l’inopposabilité.

Lorsque l’expert judiciaire, bien qu’il n’ait pas communiqué d’avis provisoire, s’est, au-delà de simples constations techniques, exprimé à plusieurs reprises sur la responsabilité qui pourrait être celle de l’architecte. L’intervention de ce dernier à l’expertise porterait une atteinte concrète à ses droits de défense dès lors qu’il serait privé de la possibilité d’être présent lors des constations techniques opérées par l’expert et de faire à cette occasion toutes les observations nécessaires, avant que l’expert ne rédige ses préliminaires et ne se fasse une première opinion, laquelle transparait de la lecture de ses préliminaires. »

Conflits entre voisins : Just in time… ou non

Dans ce second litige,  un propriétaire avait lancé citation contre son voisin après que de l’humidité soit apparue au sein de son immeuble et ce suite à des travaux réalisés par le fonds voisin.

Ce dernier, sûr de son fait, ne lance pas citation en intervention forcée contre l’architecte et l’entrepreneur dès l’entame du dossier attendant les préliminaires de l’expert.

Le Tribunal a jugé sa tentative de lancer citation en intervention forcée et garantie après le dépôt des préliminaires comme irrecevable en précisant que : «  La parties qui est appelée en intervention dans une expertise en cours peut refuser le débat lorsque ses droits de la défense ne sont pas saufs, notamment lorsque sa défense serait compromise en raison d’une opinion déjà acquise.

Lorsque l’expert judiciaire, invité à se prononcer sur la bonne exécution des travaux de réfection que les maîtres de l’ouvrage avaient fait entreprendre, a clairement émis une opinion sur la mauvaise qualité et le non-respect des règles de l’art de ces travaux, il s’est déjà forgé une opinion au sujet des responsabilités de l’architecte et de l’entrepreneur. La circonstance que l’avis provisoire n’ait pas encore été déposé est irrelevante, eu égard aux conclusions ou à tout le moins à l’avis ou l’opinion déjà exprimés par l’expert. »

Conclusion : la mise à la cause, un coup de poker ?

On le voit sur base de ce qui précède : l’intervention forcée est un exercice périlleux. On ne pourrait que conseiller aux parties défenderesses de ne pas tarder avant de citer en intervention.

Il est vrai qu’il s’agit pour la partie citant d’un coup de poker. S’il est sur de son fait, pourquoi engager des coûts en citant tous les autres intervenants.

Mais, si l’expert lui donne tort et le fait ressentir en lésant les droits de la défense du ou des cités, l’action sera déclarée irrecevable s’il s’y prend trop tard.

Attendre, un pari risqué…

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