Avant toute chose, il est important pour nos lecteurs d’avoir une définition d’un jugement avant dire droit.
Un jugement avant dire droit tel que défini à l’article 19, alinéa 3 du Code Judiciaire est un jugement qui ordonne :
Ces jugements couvrent des situations aussi diverses que la désignation d’un expert en matière immobilière ou la décision qui règle de manière provisoire les modalités d’hébergement secondaire d’un parent.
L’article 1050 du Code judiciaire dispose que le recours contre une décision avant dire droit doit être introduit en même temps que le recours contre le jugement définitif.
Un jugement est définitif dans la mesure où il épuise la juridiction du juge sur une question litigieuse.
La Cour de Cassation a du se pencher à plusieurs reprises sur cette question épineuse.
Tout d’abord dans un arrêt du 03 décembre 2020, la Cour avait tenu comme position que toute décision par laquelle le juge se prononce sur une question est une décision définitive, quelle que soit la nature du litige.
Cette position a été critiquée par la doctrine niant la notion de jugement « avant dire droit ».
Selon cette interprétation, une décision quant à une contestation entre les parties relative à une mesure d’instruction n’est pas une décision avant dire droit mais une décision finale allant à l’encontre des définitions de l’article 19 précité.
Dans un arrêt du 12 février 2021, la Cour a jugé que le tribunal qui ordonne une mesure préalable afin de permettre d’examiner la demande ou de régler une contestation entre les parties concernant une telle mesure préalable, prend une décision avant dire droit, même s’il règle ainsi définitivement le litige concernant la mesure préalable.
Il s’agit là d’un renversement de jurisprudence de la Cour de Cassation qui a été confirmé par la décision du 11 juin 2021 de la même Cour de Cassation.
Cet arrêt précise que « Le juge qui ordonne une mesure préliminaire en vue de régler provisoirement la situation des parties, sans se prononcer quant à la recevabilité et au fondement de la demande, rend une décision avant dire droit contre laquelle aucun appel immédiat n’est ouvert, même s’il existait une contestation entre parties quant à cette mesure et qu’un débat a eu lieu sur ce point. » (Cass. 11 juin 2021, J.L.M.B. 2022/2, p.72).
Dans un arrêt très récent du 26 janvier 2022, la Cour d’Appel de Mons a pu appliquer cette jurisprudence dans un litige familial.
Si l’enseignement de la jurisprudence de la Cour de Cassation du 11 juin 2021 ne semble plus faire l’objet de discussion, la Cour d’Appel de Mons reprenant celui-ci in extenso, la question quant au caractère avant-dire droit ou définitif d’un jugement peut encore faire l’objet de discussions.
En l’espèce, l’appel ne portait que sur la demande relative aux congés scolaires.
L’appelant soutenait qu’en ce qu’il statue sur les modalités de son hébergement secondaire durant les vacances scolaires d’été 2021 et les vacances de Noël 2021, le jugement dont appel serait un jugement « définitif ».
La Cour d’Appel a considéré que dès lors que la demande dont était saisi le premier Juge visait à entendre fixer les modalités de l’hébergement secondaire durant tous les congés scolaires de Noël et d’été, le premier juge a statué provisoirement en fixant les modalités relatives aux congés de 2021 et en réservant à statuer pour le surplus.
« Ce faisant, le jugement dont appel aménage la situation des parties dans l’attente d’une décision sur le fond de la demande et constitue donc un jugement provisoire rendu avant dire droit et non définitif ».
L’appel a donc été jugé irrecevable par la Cour (Mons, 26 janvier 2022, J.T. 2022, p.144).
On le voit : si la question de l’appel d’un jugement avant dire droit ne souffre plus de discussion depuis l’arrêt de la Cour de Cassation du mois de juin, le débat s’est déplacé quant au caractère « définitif » ou « avant dire droit » d’un jugement.
Si dans des matières comme la désignation d’un expert, cette question ne posera pas de difficultés, il pourrait en être autrement de décisions en matière familiale comme on le voit dans le cas présent.
Il faudra être très attentif avant d’interjeter appel d’une décision (même si celle-ci a fait l’objet de discussions âpres entre parties par exemple quant à l’opportunité de voir un expert être désigné) sous peine de voir ledit appel déclaré irrecevable.