L’inflation est sur toutes les bouches et le secteur de la construction n’y échappe pas. Ce n’est pas nouveau : les délais pour finaliser des projets immobiliers ont toujours été et sont de plus en plus longs avec pour conséquence une hausse des coûts de production.
La conjoncture actuelle n’a fait qu’accélérer ce phénomène. La hausse des coûts de l’énergie et d’acheminement des matières premières, le Covid, … Tant d’aléas peuvent mettre à mal la rentabilité des projets immobiliers que ls promoteurs et les entrepreneurs tentent de trouver une solution juridique pour couvrir ce risque.
Est-ce possible ?
La base de la réflexion réside dans le principe de la convention loi. Ce principe indique que le contrat représente la loi entre les parties. La principale conséquence de ce principe est qu’une partie ne peut modifier seule les rapports prévus dans le contrat.
Bien entendu, de commun accord, les parties peuvent modifier le contrat mais on peut difficilement imaginer un acheteur acceptant une augmentation du coût de son acquisition a posteriori.
À l’instar d’une partie agissant de manière unilatérale, le juge ne peut modifier le contenu d’un contrat. Il ne peut ni ajouter ni retrancher à ce sur quoi les parties se sont accordées.
A l’heure actuelle, la loi belge ne permet donc pas au Juge de modifier les prix convenus entre parties suite à des modifications quant au coût. Ainsi que le précise le Tribunal de Première Instance de Liège : « Admettre l’imprévision serait, au nom de l’équité, compromettre la sécurité que le droit a voulu assurer par le principe de la convention loi » (Liège, 27 juin 1995, J.L.M.B, 1996, p.100).
De rares décisions viennent contrebalancer ce principe ancestral. Ainsi, selon une jurisprudence minoritaire, les ventes à perte (non pas des ventes avec un bénéfice réduit) permettraient au professionnel de la construction de refuser de l’exécuter. De même, si l’exécution du contrat pouvait mener à la « ruine » du débiteur, celui-ci serait dans la possibilité d’échapper au prix. L’exécution dans ce cas précis serait constitutif d’abus de droit.
On le voit les cas d’application ne permettent pas réellement de contrecarrer le principe général de convention loi.
A défaut de pouvoir modifier le contrat a posteriori, la solution peut être de prévoir l’adaptation des prix directement dans les dispositions contractuelles.
Cette matière est cependant strictement réglementée. Dans les matières industrielles ou commerciales, seuls 80 pourcents du prix pourront être soumis à révision (20 pourcents restant fixes) ; la révision se base sur des critères représentant l’évolution des coûts réels ; la révision ne se base pas sur un index général mais bien une évolution des prix spécifique.
La loi Breyne qui impose que pour les dispositions contractuelles relatives à des constructions immobilières pose de nouveaux problèmes…
En effet, les institutions bancaires finançant en tout ou partie l’acquisition considère que la révision du prix éventuel doit faire partie du financement.
On comprend aisément les difficultés pour les acquéreurs se retrouvant à devoir établir un plan financier avec une majoration de 10 ou 15 pourcents pour une adaptation éventuelle des prix.
La solution viendra peut-être de la réforme du Code Civil.
Le chapitre 5 et en particulier l’article 5.74 fait rentrer la théorie de l’imprévision dans l’ordre juridique.
L’imprévision peut se définir comme : « le déséquilibre des prestations réciproques qui vient à se produire, dans les contrats à prestations successives ou différées, par l’effet d’événements ultérieurs à la formation du contrat, indépendants de la volonté des parties, et se révélant tellement extraordinaires, tellement anormaux, qu’il n’était guère possible de raisonnablement les prévoir ».
L’article 5.74 stipule ainsi que pour les contrats conclus à partir de 2023, le principe reste celui de convention- loi, chaque partie devant exécuter ses obligations quand bien même l’exécution en serait devenue plus onéreuse, soit que le coût de l’exécution ait augmenté, soit que la valeur de la contre-prestation ait diminué.
Cependant, l’alinéa 2 du même article tempère ce principe.
Le débiteur peut ainsi demander au créancier de renégocier le contrat en vue de l’adapter ou d’y mettre fin lorsque les conditions suivantes sont réunies :
La loi prévoit qu’en cas de refus ou d’échec des renégociations dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande de l’une ou l’autre des parties, adapter le contrat afin de le mettre en conformité avec ce que les parties auraient raisonnablement convenu au moment de la conclusion du contrat si elles avaient tenu compte du changement de circonstances, ou mettre fin au contrat en tout ou en partie à une date qui ne peut être antérieure au changement de circonstances et selon des modalités fixées par le juge. L’action est formée et instruite selon les formes du référé.
L’imprévision concerne donc des évènements qui affectent l’économie du contrat sans rendre l’exécution du contrat totalement impossible.
La théorie de l’impression en droit belge vient ainsi bousculer totalement les certitudes en la matière.
Cependant, confier au juge de nouveaux pouvoirs lui permettant de corriger des situations de déséquilibre contractuel ne va certainement pas se faire sans difficulté.
Les concepts repris dans la loi tels que « excessivement », « raisonnablement convenu » ou « imprévisible » vont devoir faire l’objet d’interprétations jurisprudentielles et doctrinales.
Une flexibilité des contrats qui va nécessairement aller de pair avec une multiplication des contentieux.