« Plus personne ne s’y retrouve ». C’est ainsi qu’un promoteur spécialisé dans l’implantation de coliving a résumé la situation actuelle.
Avant toute chose, il convient de définir le coliving. Le marché va toujours plus vite que le législateur selon un adage connu.
Pourtant le coliving existe depuis de nombreuses années à New-York, Tokyo ou d’autres grandes villes connaissant une crise du logement avec des loyers devenus inaccessibles pour la majeure partie des étudiants et des jeunes actifs, premier public cible de ce type d’habitation.
Les projets de coliving sont pour la plupart gérés par des sociétés spécialisées dans le domaine. Les caractéristiques principales de ce type de logement sont : un habitat partagé dans un immeuble d’habitation avec un nombre de chambres qui ne correspond pas à celui d’origine.
Généralement, ce type d’habitation propose des services complémentaires tels qu’un service de maintenance et de réparation, de nettoyage, …
Il se différencie par ces critères d’une colocation habituelle qui consiste à louer à plusieurs un appartement ou une maison et sans service complémentaire et à un nombre correspondant à celui d’une famille.
Ces phénomènes sont en plein essor, particulièrement à Bruxelles, répondant à une demande d’une ville internationale souffrant également d’une crise du logement.
Qu’en est-il de la réglementation de ce type d’habitat au niveau du droit civil pur, de l’exigence d’un permis d’urbanisme ou encore de la prévention incendie en région Bruxelloise ?
Dans le présent article, nous nous concentrons sur le volet urbanistique pour revenir dans d’autres artcies sur les autres aspects.
Dans l’attente d’une réglementation régionale (voir infra), différentes communes voyant l’essor de ce type d’habitats ont pris des recommandations en matière de coliving. Ceux-ci divergent déjà quant à la définition du coliving. En effet, Ixelles vise colocation organisée par un bailleur privé alors que Saint-Gilles et Bruxelles reprennent le vocable société.
De même, Ixelles et Saint-Gilles retiennent un minimum de huit chambres tandis que la Ville de Bruxelles retient un minimum de 5 chambres.
L’objectif de ces textes est bien de cadrer et définir « les lignes de conduite afin d’appréhender les demandes actuelles de coliving qui sont auprès de la commune. »
Selon ces textes, la transformation d’un logement unifamilial en un logement de type coliving « constitue un changement de destination de l’immeuble et est soumis à permis d’urbanisme. »
Un premier cas d’application a fait l’objet d’un recours. La Commune d’Ixelles avait fait cesser un chantier de la société CO-HOMING. Celle-ci a cité la commune devant le Tribunal de Première Instance de Bruxelles.
En juin 2021, la juridiction a donné raison à la société spécialisée en coliving. Dans le procès-verbal dressé par sa cellule contrôle urbanistique, la commune avait estimé que les travaux en cours constituaient une division déguisée et irrégulière de l’immeuble en ajoutant qu’il s’agissait d’un changement de destination en contravention aux articles 98, 300 à 304 du COBAT.
Le Tribunal n’a pas suivi cette thèse, le juge estimant que la fonction de logement était conforme à celle visée dans le permis de bâtir de sorte qu’il n’y avait pas infraction à cette disposition.
Le Juge de Première Instance précise que le permis initial délivré visait un immeuble d’habitation sans évoquer une maison unifamiliale.
La Commune a interjeté appel contre cette décision mais la Cour d’Appel a confirmé le jugement du Tribunal de Première Instance reprenant la même argumentation.
Il semble donc que la jurisprudence mette en exergue le vide juridique présent et soit dans l’obligation de donner raison aux sociétés de coliving.
Une modification du RRU est donc plus qu’indispensable eu égard au vide juridique ?
En juillet 2022, le Gouvernement Bruxellois a approuvé en première lecture le projet de nouveau RRU. Celui-ci devrait entrer en vigueur pour l’automne 2024.
Alors que celui-ci prévoyait initialement un chapitre spécifique relatif au coliving, il est dorénavant intégré au chapitre 3 à savoir les prescriptions relatives à l’organisation interne des constructions.
Ce titre s’applique à « toute construction nouvelle » et donc aux nouveaux immeubles destinés à des projets de coliving mais également « aux actes et travaux relatifs aux constructions existantes » lorsque ces actes et travaux portent sur la construction d’une extension ou d’un étage supplémentaire ou lorsqu’il s’agit d’une modification de la destination de tout ou partie de la construction.
Même si certains projets verront à devoir obtenir un permis d’urbanisme, il nous semble illusoire sur base des décisions jurisprudentielles de croire que tous les projets vont se voir appliquer le nouveau RRU.
La référence à la « modification de la destination » semble en effet inadéquate.
Nous le voyons : le coliving n’a pas fini de faire parler de lui…
Il appartiendra au pouvoir politique de voir également les avantages d’un coliving réglementé pour faire face à la crise du logement et créer des ponts entre les partenaires privés et publics.