La Cour de Cassation a rendu le 15 mars 2021 un arrêt pour le moins intéressant en matière de bail commercial.
L’article 13 de la loi sur les baux commerciaux précise que le droit du preneur de solliciter un renouvellement de bail est limité à trois renouvellements.
Il va de soi que l’épuisement des possibilités de renouvèlement n’exclut nullement qu’une prorogation puisse lui être consentie en cas de consentement des parties.
L’indemnité d’éviction à laquelle le preneur a droit sur base de l’article 25 de la loi précitée suppose que celui-ci dispose toujours du droit de solliciter le renouvellement du bail.
Dès lors, lorsque le preneur ne dispose plus du droit de solliciter le renouvellement du bail et qu’aune prorogation ne lui a été consentie, le bailleur peut évincer ce preneur sans lui payer d’indemnité.
Cette hypothèse de travail n’entraine pas pour autant le droit du bailleur de s’approprier le fonds de commerce du preneur pas plus que d’annihiler le droit du preneur de réclamer la réparation du dommage causé par une éventuelle faut de bailleur.
Dans le cas qui occupait la Cour de Cassation, le bailleur avait contracté un nouveau bail avec un locataire qui n’exploitait pas elle-même le débit de boissons mais entendait sous-louer les lieux.
Le précédent locataire offrait des conditions financières plus avantageuses mais le bailleur avait tout de même préféré louer à un locataire qui s’apprêtait à sous-louer cet emplacement commercial à des tiers à qui elle comptait imposer une obligation de brasserie à son profit mais également une obligation de jeux au profit du groupe dont fait partie le bailleur.
La Cour de Cassation a considéré qu’en refusant au locataire le renouvellement de son bail, malgré que celui-ci offrait des conditions financières plus avantageuses que celui avec qui il a finalement passé contrat, le bailleur a agi dans la seule intention de nuire au locataire en s’appropriant de manière illégitime son fonds de commerce, sans bourse délier. Il commet, partant, un abus de droit, sanctionné non pas par la conclusion d’un nouveau bail avec l’ancien preneur mais par l’allocation à ce dernier de dommages et intérêts réparant la perte de son fonds de commerce.
La théorie de l’abus de droit est connue depuis fort longtemps.
La Cour de cassation a donné une définition générale de l’abus de droit dans plusieurs arrêts. Il s’agit de l’exercice d’un droit d’une manière qui dépasse manifestement les limites de l’exercice normal de celui-ci par une personne prudente et diligente.
Il appartient donc au juge de comparer le comportement qu’a eu le titulaire du droit avec celui qu’aurait eu un homme normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances.
Dans le cas présent, elle a donc dû mettre en balance le droit de propriété permettant par essence de disposer de son bien avec l’absence de droit du locataire de demander le renouvellement du bail.
Que selon la Cour de Cassation, « certes, le défendeur n’avait pas, en théorie, un droit acquis à poursuivre le bail » mais que, « toutefois, dans les circonstances particulières en l’espèce, la demanderesse – qui n’entendait pas exploiter elle-même le débit de boisson – avait la possibilité, soit de conclure un nouveau bail de sous-location avec lui, aux conditions proposées par lui ou à convenir, soit de conclure un nouveau bail de sous-location avec un tiers » et « qu’elle a choisi de ne pas donner suite à la proposition du défendeur et de privilégier un autre sous-locataire qui, sur le papier, présentait moins d’intérêt et ce dans le but légitime ( et en toute hypothèse totalement déraisonnable et insuffisant) de s’approprier gratuitement le fonds de commerce que le défendeur exploitait dans les lieux et qu’il avait développé depuis plusieurs années, causant ainsi à ce dernier un préjudice correspondant à la perte de son fonds de commerce. »
Ainsi obtenir gratuitement le fonds de commerce est un choix disproportionné et téléguidé dans le seul but de nuire au preneur initial.
On le voit, il convient à tout bailleur commercial d’être vigilent quant à la fin d’un bail commercial en ayant à l’esprit le fait que bien que son locataire n’ait plus un droit quelconque à solliciter un renouvellement, il ne peut prendre de décision quant à la location de son emplacement commercial qui pourrait être considérée par le Juge saisi comme prise dans le seul but de nuire à son locataire.
Il est donc primordial de disposer de son droit sans en abuser. Le pouvoir du juge en fonction du cas d’application est central pour faire un examen critique de la loyauté dans la mise en œuvre de ses droits.
On l’oublie de temps en temps mais aucun droit n’est absolu.